Pour mettre au point de nouvelles substances bioactives, des médicaments par exemple, il faut tester leurs effets sur des cellules. Seulement voilà, les analyses se font aujourd’hui sur des prélèvements de quelques milliers d’entre elles, souvent de types différents. L’idéal serait de pouvoir tester les molécules sur les cellules une par une. C’est désormais possible avec les puces à cellules, des systèmes miniaturisés capables de manipuler la plus petite unité du vivant. Au CEA, deux systèmes dédiés au criblage de molécules sont en cours de développement : Phénopuce et Multipatch.
Étudier plusieurs paramètres
Les méthodes de criblage à haut débit, utilisées notamment dans l’industrie pharmaceutique, mettent en oeuvre des banques de substances, les chimiothèques, et des automates capables de tester ces produits sur les cellules et d’étudier leurs réactions. Néanmoins, chaque criblage ne peut s’intéresser qu’à un seul paramètre à la fois, c’est-à-dire à un type d’effet : division cellulaire, production de telle ou telle protéine, mort… D’où l’intérêt des puces à cellules qui permettent, cette fois, un criblage dit à haut contenu. Il s’agit d’enregistrer sur une même cellule plusieurs paramètres en même temps. C’est cette voie que suivent les chercheurs du CEA engagés dans le projet Phénopuce. Celui-ci est un système de culture de cellules en gouttes. « L’une des principales difficultés des puces à cellules est de maintenir des éléments biologiques sur un dispositif plat, explique Béatrice Schaack, responsable du projet. La cellule est fragile et a constamment besoin d’être en suspension dans un milieu nutritif. » Vraie gageure que de contrôler un liquide sur une surface plane ! La solution des chercheurs : le disposer en minuscules gouttelettes de 50 nanolitres (50 millionièmes de millilitre) sur une lame de verre présentant de petites zones hydrophiles de 500 microns de diamètre, entourées de régions hydrophobes. « À cette échelle, la gravité n’influe pas sur la forme de la goutte, précise François Châtelain, directeur du laboratoire Biopuces du CEA, à Grenoble. Seules les forces de surface jouent. » Les gouttes, qui contiennent chacune une cinquantaine de cellules, possèdent donc une forme standardisée et la puce peut être manipulée sans qu’elles ne bougent d’un iota. « C’est un robot capable de pipeter une centaine de picolitres [milliardièmes de millilitre, Ndlr] de solution qui dépose les gouttes petit à petit, explique Béatrice Schaack. Il y en a 400 sur 4 cm2 de verre. »
Voir en couleurs
Une fois les cellules installées sur la puce, le robot peut injecter n’importe quelle molécule à tester dans les gouttes. Un microscope, relié à un ordinateur, prend alors les gouttes en photo les unes à la suite des autres, détermine automatiquement le contour de chaque cellule et, enfin, analyse l’effet de la substance par fluorescence. « L’appareil peut voir en quatre couleurs, indique Béatrice Schaack. En marquant les cellules de façon appropriée à l’aide de molécules fluorescentes, il nous est possible de distinguer quatre phénotypes, c’est-à-dire quatre paramètres différents. » Le microscope verra par exemple en rouge les cellules qui se divisent, en vert, celles qui meurent, etc. Très prometteur, le projet Phénopuce dispose d’ores et déjà d’un démonstrateur, iCanceroDrops, destiné à cribler des molécules dans le domaine de la sensibilité aux chimiothérapies anticancéreuses (voir encadré “iCanceroDrops”). De nombreuses substances actives ont pour cible les canaux ioniques, les protéines qui traversent la membrane cellulaire et régulent le passage d’ions, comme le calcium ou le potassium, indispensables à la vie de la cellule.
« Les techniques actuelles d’isolement des canaux ioniques prélevés sur la membrane sont longues et fastidieuses, explique Nathalie Picollet-d’Hahan, du laboratoire Biopuces. Elles ne peuvent pas servir au criblage pharmacologique à moyen ou haut débit comme le souhaite l’industrie. » La puce Multipatch, développée en collaboration avec le Léti, permet, elle, d’enregistrer in situ l’activité des canaux ioniques de plusieurs cellules en même temps.
« Chacune d’elles est maintenue en sandwich entre deux circuits imprimés, détaille Nathalie Picollet-d’Hahan. Quatre capillaires, deux en haut et deux en bas, permettent de fixer la cellule par aspiration et de lui délivrer les produits à tester. » Les courants ioniques, de quelques picoampères (milliardièmes d’ampère), sont enregistrés à l’aide des circuits imprimés puis amplifiés afin d’être analysés. Pour l’heure, un démonstrateur à neuf cellules est en cours de validation.